jeudi 27 août 2009

Eloge de la fuite... avec le Pr Henri Laborit

Eloge de la Fuite est l'un de mes livres de chevet depuis que je l'ai ouvert en 1991. Je sais, ça ne date pas d'hier... Non que je sois si vieille, mais j'étais vraiment jeune à l'époque... et ce livre a compté parmi ceux qui ont changé le regard que je porte depuis sur la vie.

A chaque fois que je me replonge dans ce livre, en quête d'une citation que j'ai surlignée ou d'un passage dont j'aimerais me souvenir, je relis tout le livre. Et, à chaque fois, je fais de nouvelles découvertes. Entre chaque "piqûre de rappel", des événements nouveaux se sont produits dans ma vie, des bouleversements, quelques lectures importantes aussi. Et à chaque nouvelle "plongée" dans Eloge de la Fuite, une interprétation un peu plus poussée, un peu plus éclairée...
Ce midi, je cherchais à me rémémorer la célèbre et profonde réflexion du professeur sur l'imaginaire : "Imaginaire, fonction spécifiquement humaine qui permette à l'Homme contrairement aux autres espèces animales, d'ajouter de l'information, de transformer le monde qui l'entoure. Imaginaire, seul mécanisme de fuite, d'évitement de l'aliénation environnementale, sociologique en particulier, utilisé aussi bien par le drogué, le psychotique, que par le créateur artistique ou scientiique.". Magnifique, non ? Et si juste.
Je constate que l'auteur écrit lui aussi "Homme" au sens générique avec un "H" capital, ainsi qu’on nous l'a enseigné à l'école primaire, et je pense que se souvenir de cela peut parfois faire toute la différence…Ce texte, qui prend un sens nouveau à chacune de mes « espacées lectures » s’adresse à tous ceux qui n’ont pas encore lu ou un peu oublié Eloge de la Fuite. Puisse cet extrait leur donner envie de (re)découvrir ce livre.

J'aurais toujours un regret, celui de n'avoir jamais interviewé le Professeur Laborit. Ma publication en ligne, Les Di@logues Stratégiques n'a vu le jour qu'en 2000 alors que le Pr Laborit était mort depuis déjà 5 ans. Il est certain que je l'aurais sollicité pour une entretien. Je suis certaine que ce grand Monsieur aurait accepté.
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Si c’était à refaire...

"J’avoue que je ne saurais répondre à une telle question. Qu’y aurait-il à refaire ? Ma vie ? Ou bien je renaîtrais nu comme au premier jour, avec le système nerveux vierge de l’enfant, et je serais immédiatement placé sur des rails : ceux de mon hérédité nouvelle, ceux surtout de ma famille nouvelle, de mon milieu social nouveau, et je ne referais rien. Je me laisserais faire une fois de plus, mais différemment puisque, entre-temps, tout aurait changé. Je suivrais mes rails vers une destination inconnue, si ce n’est avec la même certitude de trouver au bout d’une route plus ou moins longue la mort. Je ne referais rien puisque ce ne serait plus moi qui ferais, mais un autre, façonné par un autre milieu.
Si c’était à refaire en repartant de l’enfance avec l’acquis et l’expérience de mon âge ? Est-ce plus imaginable ? Bien sûr l’expérience, l’apprentissage permettent d’autres comportements. Mais les situations ne se reproduisent jamais. Il n’est pas sûr sur je retrouverais aujourd’hui autour de moi les comportements de ceux que j’ai rencontrés dans ma vie. Mais en l’absence d’une coupure profonde dans l’évolution historique de la socio-culture depuis l’époque de mon adolescence, les pulsions humaines demeurant toutes aussi inconscientes, j’agirais moi-même avec les mêmes déterminismes inconscients qui m’ont toujours guidé au milieu de l’inconscience de mes contemporains. Si c’était à refaire ? Cela sous-entend que nous pourrions faire autre chose que ce que nous avons fait. Qu’il nous reste une possibilité de choix. Relisez le chapitre où j’ai parlé de la Liberté et vous comprendrez que, à mon avis, nous n’avons jamais le choix. Nous agissons, toujours sous la pression de la nécessité, mais celle-ci sait bien se cacher. Elle se cache dans l’ombre de notre ignorance. Notre ignorance de l’inconscient qui nous guide, celle de nos pulsions et de notre apprentissage social.
Si c’était à refaire, je ferais certainement autre chose, mais je n’y pourrais rien. Je ferais autre chose parce que chaque vie d’Homme est unique, située dans un point spécifique de l’espace-temps à nul autre pareil. Mais vers ce point convergent puis de lui s’échappent tant de facteurs entrelacés que, comme dans un nœud de vipères, il n’y a plus d’espace libre pour y placer un libre choix.
D’ailleurs consolons-nous : ce ne sera point à refaire, mais d’autres feront ce que nous n’avons pas fait, parce que notre expérience d’un temps déjà révolu, d’un passé et d’un présent éphémères, ne peut être utilisée telle quelle pour construire un avenir différent. Cette expérience, même s’il était possible de la leur transmettre intégralement, d’autres générations en feraient autre chose que ce que nous en aurions fait si nous avions eu le temps de l’utiliser. Et puis surtout, que peut-on faire ou refaire seul ? Rien d’autre que ce que les autres font avec nous. Si c’était à refaire, nous le ferions encore tous ensemble mais différemment, ce qui ne veut pas dire mieux ou plus mal, car pour juger il faut posséder une échelle de valeurs absolue et non affective, permettant de donner une note à chacune de nos actoins. « Ne pas juger si l’on ne veut pas être jugé ? ». Est-ce que cette phrase n’implique pas qu’il n’y a pas d’échelle de valeur humaine qui soit absolue ?
Malheureusement, ne pas juger, c’est déjà juger qu’il n’y a pas à juger. ».
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La Liberté

« Au cours des nombreuses conférences que j’ai pu prononcer, les discussions qui ont suivi m’ont montré que la notion la plus choquante comme la plus difficile à admettre par un auditoire, quelle que soir la structure sociale de celui-ci, c’est l’absence de liberté humaine. La notion de liberté est confuse parce que l’on ne précise jamais en quoi consiste la liberté dont on parle, qui n’est alors qu’un concept flou et affectivement abordé. Notion difficile à admettre que l’absence de liberté humaine, car elle aboutit à l’écroulement de tout un monde de jugements de valeur sans lequel la majorité des individus se sentent désemparés. L’absence de liberté implique l’absence de responsabilité, et celle-ci surtout implique à son tour l’absence de mérite, la négation de la reconnaissance sociale de celui-ci, l’écroulement des hiérarchies. Plutôt que de perdre le cadre conceptuel au sein duquel le narcissime s’est développé depuis l’enfance, la majorité des individus préfère refuser tout simplement d’admettre la discussion sur le sujet. On admet que la liberté est « une donnée immédiate de la conscience ». Or, ce que nous appelons liberté, c’est la possibilité de réaliser les actes qui nous gratifient, de réaliser notre projet, sans nous heurter au projet de l’autre. Mais l’acte gratifiant n’est pas libre. Il est même entièrement déterminé. Pour agir, il faut être motivé et nous savons que cette motivation, le plus souvent inconsciente, résulte soit d’une pulsion endogène, soit d’un automatisme acquis et ne cherche que la satisfaction , le maintien de l’équilibre biologique, de la structure organique. L’absence de liberté résulte donc de l’antagonisme de deux déterminismes comportementaux et de la domination de l’un sur l’autre. Dans un ensemble social, la sensation fallacieuse d’être libre pourrait s’obtenir en créant des automatismes culturels tels que le déterminisme comportemental de chaque individu aurait la même finalité, autrement dit tels que la programmation de chaque individu aurait le même but, mais situé en dehors de lui-même. Ceci ne serait encore qu’une apparence car ce serait en réalité, pour lui, pour éviter la punition sociale, ou mériter sa récompense, pour se gratifier en définitive, que l’individu agirait encore. Ceci est possible en période de crise, quel que soit le régime socio-économique, c’est-à-dire dans un système hiérarchique de dominance.
La sensation fallacieuse de liberté s’explique du fait que ce qui conditionne notre action est généralement du domaine de l’inconscient, et que par contre le discours est, lui, du domaine du conscient. C’est ce discours logique qui nous permet de croire au libre choix. Mais comment un choix pourrait-il être libre alors que nous sommes inconscients des motifs de notre choix, et comment pourrions-nous croire à l’existence de l’inconscient puisque celui-ci est par définition inconscient ? Comment prendre conscience de pulsions primitives transformées et contrôlées par des automatismes socio-culturels lorsque ceux-ci, purs jugements de valeur d’une société donnée à une certaine époque, sont élevés au rang d’étique, de principes fondamentaux, de lois universelles, alors que ce ne sont que les règlements de manœuvres utilisés par une structure sociale de dominance pour se perpétuer, se survivre ? Les sociétés libérales ont réussi à convaincre l’individu que la liberté se trouvait dans l’obéissance aux règles des hiérarchies du moment et dans l’institutionnalisation des règles qu’il faut observer pour s’élever dans ces hiérarchies. Les pays socialistes ont réussi à convaincre l’individu que lorsque la propriété privée des moyens de production et d’échanges était supprimée, libéré de l’aliénation, de sa force de travail au capital, il devenait libre, alors qu’il reste tout autant emprisonné dans un système hiérarchique de dominance. La sensation fallacieuse de liberté vien taussi du fait que le mécanisme de nos comportements sociaux n’est entré que depuis peu dans le domaine de la connaisssance scientifique, expériementale, et ces mécanismes sont d’une telle complexité, les facteurs qu’ils intègrent sont si nombreux dans l’histoire du système nerveux d’un être humain, que leur déterminisme semble inconcevable. Ainsi, le terme de « liberté » ne s’oppose pas à celui de « déterminisme » car le déterminisme auquel on pense est celui du principe de causalité linéaire, telle cause ayant tel effet. Les faits biologiques nous font heureusement pénétrer dans un monde où seule l’étude des systèmes, des niveaux d’organisation, des rétroactions, des servomécanismes, rend ce type de causalité désuet et sans valeur opérationnelle. Ce qui ne veut pas dire qu’un comportement soit libre. Les ffacteurs mis en cause sont simplement trop nombreux, les mécanismes mis en jeu trop complexes pour qu’il soit dans tous les cas prévisible. Mais les règles générales que nous avons précédemment schématisées permettent de comprendre qu’ils sont cependant entièrement programmés par la structure innée de notre système nerveux et par l’apprentissage socio-culturel.
Comment être llibre quand une grille explicative implacable nous interdit de concevoir le monde d’une façon différente de celle imposée par les automatismes socio-culturels qu’elle commande ? Quand le prétendu choix de l’un ou de l’autre résulte de nos pulsions instinctives, de notre recherche du plaisir par la dominance et de nos automatismes socio-culturels déterminés par notre niche environnementale ? Comment être libre aussi quand on sait que ce que nous possédons dans notre système nerveux, ce ne sont que nos relations intériorisées avec les autres ? Quand on sait qu’un élément n’est jamais séparé d’un ensemble ? Qu’un individu séparé de tout environnement social devient un enfant sauvage qui ne sera jamais un homme ? Que l’individu n’existe pas en dehors de sa niche environnementale à nulle autre pareille qui le conditionne entièrement à être ce qu’il est ? Coment être libre quand on sait que cet individu, élément d’un ensemble, est également dépendant des ensembles plus complexes qui englobent l’ensemble auquel on appartient ? Quand on sait que l’organisation des sociétés humaines jusqu’au plus grand ensemble que constitue l’espèce, se fait par niveaux d’organisation qui chacun représente la commande du servomécanisme contrôlannt la régulation du niveau sous-jacent ? La liberté ou du moins l’imagination créatrice ne se trouve qu’au nveau de la finalité du plus grand ensemble et encore obéit-elle sans doute, même à ce niveau à un déterminisme cosmique qui n ous est caché, car nous n’en connaissons pas les lois.
« La liberté commence où finit la connaissance » (J. Sauvan). Avant, elle n’existe pas, car la connaissance des lois nous oblige à leur obéir. Après, elle n’existe que par l’ignorance des lois à venir et la croyance que nous avons de ne pas être commandés par elles puisque nous les ignorons. En réalité, ce que l’on peut appeler « liberté », si vraiment nous tenons à conserver ce terme, c’est l’indépendance très relative que l’homme peut acquérir en découvrant, partiellement et progressivement, les lois du déterminisme universel. Il est alors capable, mais seulement alors, d’imaginer un moyen d’utiliser ces lois au mieux de sa survie, ce qui le fait pénétrer dans un autre déterminisme, d’un autre niveau d’organisation qu’il ignorait encore. Le rôle de la science est de pénétrer sans cesse dans un nouveau niveau d’organisation des lois universelles. Tant que l’on a ignoré les lois de la gravitation, l’homme a cru qu’il pouvait être libre de voler. Mais comme Icare il s’est écrasé au sol. Ou bien encore, ignorant qu’il avait la possibilité de voler, il ne savait être privé d’une liberté qui n’existait pas pour lui. Lorsque les lois de la gravitation ont été connues, l’homme a pu aller sur la lune. Ce faisant, il ne s’est pas libéré des ois de la gravitation mais il a pu les utiliser à son avantage.
Même lorsque l’Homme remplit pleinement son rôle d’Homme en parvenant, grâce à son imagination créatrice, non à se soustraire aux déterminismes qui l’aliénaient, mais, en appliquant leurs lois, à les utiliser au mieux de sa survie et de son plaisir, même dans ce cas il ne réalise pas un choix, un libre choix. Car son imagination ne fonctionne que s’il est motivé, donc animé par une pulsion endogène ou un événement extérieur. Son imagination ne peut foncitonner aussi qu’en utilisant un matériel mémorisé qu’il n’a pas choisi libremenet mais qui lui a été imposé par le milieu. Et finalement, quand une ou plusieurs solutions neuves sont apparemment livrées à son « libre choix », c’est encore en répondant à ses pulsions inconscientes et à ses automatismes de pensée non moins inconscients qui’l agira.

Il est intéressant de chercher à comprendre les raisons qui font que les hommes s’attachent avec tant d’acharnement à ce concept de liberté. Il faut noter tout d’abord qu’il est sécurisant pour l’individu de penser qu’il peut « choisir » son destin puisqu’il est libre. Il peut le bâtir de ses mains. Or, curieusement, dè squ’il naît au monde, sa sécurisation il la cherche au contraire dans l’appartenance aux groupes : familial, puis professionnel, de classe, de nation, etc. qui ne peuvent que limiter sa prétendue liberté puisque les relations qui vont s’établir avec les autres individus du groupe se feront suivant un système hiérarchique de dominance. L’homme libre ne désire rien tant que d’être paternialisé, protégé par le nombre, l’élu ou l’homme providentiel, l’institution, par des lois qui ne sont établies que par la structure sociale de dominance et pour sa protection.
Il lui est agréable aussi de penser qu’étant libre il est « responsable ». Or, on peut observer que cette prétendue responsabilité s’accroît avec le niveau atteint dans l’échelle hiérarchique. Ce sont le cadres et les patrons, bien sûr, qui sont responsables, et la responsabilité se trouve à l abase de la contrepartie de dominance accordée à ceux auxquels elle échoit.
En effet, c’est grâce à la responsabilité que l’on peut acquérir un « mérite », lequel est alors récompensé par la dominance accordée par la structure sociale et qu’elle a contribué à consolider.
Et l’homme, libre de se soumettre au conformisme ambiant, bombe le torse, étale ses décorations sur sa poitrine, fait le beau et peut ainsi satisfaire l’image idéale de lui qu’il s’est faite en regardant son reflet, comme narcisse, sur la surface claire d’un ruisseau. Ce reflet, c’est la communauté humaine, à laquelle il appartient qui le lui renvoie.
Mais s’il n’existe pas de liberté de la décision il nepeut exister de responsabilité. Tout au plus peut-on dire que du point de vue professionnel, l’accomplissement d’une fonction exige un certain niveau d’abstraction des connaissances techniques et une certaine quantité d’informations professionnelles qui permettent d’assurer efficacement ou non cette fonction. En possession de cet acquis, la décision est obligatoire, c’est pourquoi ses facteurs sont de plus en plus souvent confiés aux ordinateurs. Ou bien, si plusieurs chois sont possibles, la solution adoptée en définitive appartient au domaine de l’inconscient pulsionnel ou de l’acquis socio-culturel. On fait la guerre du Viêt-nam avec des ordinateurs et on la perd, car le choix des informations fournies à l’ordinateur n’est pas libre, mais commandé par les mêmes mécanismes inconscients.
On peut objecter que la récolte des informations, dur travail exige une « volonté » particulièrement opiniâtre. Mais dans les mécanismes nerveux centraux, où siège cette volonté qui fait les hommes forts ? Représente-t-elle autre chose que la puissance de la motivation la plus triviale, la recherche du plaisir et son obtention par la dominance le plus souvent ? Plus l’assouvissement du besoin est ressenti comme indispensable à la survie, à l’équilibre biologique au « bonheur », plus la motivation, c’est-à-dire la volonté, sera forte de l’assouvir. Peut-on nier la part de l’apprenetissage socio-culturel qui depuis l’enfance, de génération en génération, signale aux petits de l’Homme que l’effort, le travail, la volonté, sont à la base de la réussite sociale, de l’élvation dans les hiérarchies, donc du bonheur ? L’idéal du moi ne peut s’établir dans ce contexte sans favoriser la « volonté ». Mais aura-t-on l’outrecuidance de prétendre qu’elle est l’expression de la liberté ?
En résumé, la liberté, répétons-le, ne se conçoit que par l’ignorance de ce qui nous fait agir. Elle ne peut exister au niveau conscient que dans l’ignorance de ce qui meuble et anime l’inconscient. Mais l’inconscient lui-même qui s’apparente au rêve, pourrait faire croire qu’il a découvert la liberté. Malheureusement, les lois qui gouvernent le rêve et l’inconscient sont aussi rigides, mais elles ne peuvent s’exprimer sous la forme du discours logique. Elles expriment la rigueur de la biochimie complexe qui règle depuis notre naissance le fonctionnement de notre système nerveux.
Il faut reconnaître que cette notion de liberté a favorisé par contre l’établissement des hiérarchies de dominance puisque, dans l’ignorance encore des règles qui président à leur établissement, les individus ont pu croire qu’ils les avaient choisies librement et qu’elles ne leur étaient pas imposées. Quad elles deviennent insupportables, ils croient encore que c’est librement qu’ils cherchent à s’en débarrasser.
Combattre l’idée fallacieuse de Liberté, c’est espérer en gagner un peu sur le plan sociologique. Mais, pour cela, il ne suffit pas d’affirmer son absence. Il faut aussi démonter les mécanismes comportementaux dont la mise en évidence permet de comprendre pourquoi elle n’existe pas. Ce n’est qu’alors qu’il sera peut-être possible de contrôler ces mécanismes et d’accéder à un nouveau palier du déterminisme universel, qui pendant quelques millénaires sentira bon la Liberté, comparé au palier sur lequel l’humanité se promène encore.
A-t-on pensé aussi que dès que l’on abandonne la notion de liberté, on accède immédiatement, sans effort, sans tromperie langagière à la notion toute simple de tolérance ? Mais, là encore, c’est enlever à celle-ci son apparence de gratuité, de don du prince, c’est supprimer le mérite ce celui qui la pratique, comportement flatteur empreint d’humanisme et que l’on peut toujours conseiller, sans jamais l’appliquer, puisqu’il n’est pas obligatoire du fait qu’il est libre. Pourtant, il est probable que l’intolérance dans tous les domaines résulte du fait que l’on croit l’autre libre d’agir comme il le fait, c’est-à-dire de façon non conforme à nos projets. On le croit libre et donc responsable de ses actes, de ses pensées, de ses jugements. On le croit libre et responsable s’il ne choisit pas le chemin de la vérité, qui est évidemment celui que nous avons suivi. Mais si l’on devine que chacun de nous depuis sa conception a été placé sur des rails dont il ne peut sortir qu’en « déraillant », comment peut-on lui en vouloir de son comportement ? Comment ne pas tolérer, même si cela nous gêne qu’il ne transite pas par les mêmes gares que nous ? Or, curieusement, ce sont justement ceux qui « déraillent », les malades mentaux, ceux qui n’ont pas supporté le parcours imposé par la S.N.C.F., par le destin social, opur lesquels nous sommes le plus facilement tolérants. Il est vrai que nous les supportons d’autant mieux qu’ils sont enfermés dans la prison des hôpitaux psychiatriques. Notez aussi que si les autres sont intolérants envers nous, c’est qu’ils nous croient libres et responsables des opinions contraires aux leurs que nous exprimons. C’est flatteur, non ?
Extraits du livre Eloge de la Fuite. Henri Laborit (éditions Robert Laffon, 1976).
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Surtout connu du grand public pour le film « Mon oncle d’Amérique » (théorie neurospychiatrique sous forme de 3 récits sur le comportement humain) qu’il a co-écrit avec le réalisateur Alain Resnais en 1979, le Professeur Henri Laborit (1914-1995) était médecin, chirurgien, éthologue, chercheur en neurosciences, philosophe. Il a créé et dirigé le laboratoire d’eutonologie (éthologie) à l’hôpital Boucicaut et s’est intéressé plus particulièrement à la biologie des comportements et aux comportements humains en situation sociale (sciences humaines, psychologie, sociologie, économie et politique). Dans « Eloge de la Fuite », Henri Laborit pose la question du libre arbitre à la lueur des découvertes biologiques. Sous ce nouvel éclairage, les secrets de notre personnalité, la politique, la société elle-même, prennent une toute autre dimension.

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