jeudi 22 avril 2010

La dernière Croisade… Le livre made in Facebook. Par Nicolas Grondin, éditeur


La dernière Croisade
Véronique Anger
L'Arganier 2009. 15 €

"Une création intellectuelle tangible, dans l’économie réelle, réalisée en direct sur le virtuel de leur mur.". Nicolas Grondin, éditeur.


Pari réussi(1) ! Le buzz sur la blogosphère et les réseaux sociaux sont beaucoup plus efficaces que les services de presse croulant sous les nouveautés, qui ne s'intéressent qu'aux "grosses machines" à vendre des livres... Nous avons appliqué cette maxime d'André Schiffrin : "Notre rôle est d'être contre-cyclique. C'est précisément quand tout le monde est d'accord qu'il faut commencer à se poser des questions" (Le contrôle de la parole. La Fabrique, 1999) et le public a suivi...


Article reproduit avec l'aimable autorisation de Nicolas Grondin. Source : site web des éditions L’Arganier, Un arbre au seuil du désert.



"Je ne sais pas si c’est une première, si c’est LE premier livre strictement issu d’une relation Facebook. Peut-être. Mais au fond, je m’en tamponne, cela a été une expérience édifiante à de nombreux égards et oui, tout s’est construit sur ce réseau.

Partons du début.
Je ne suis pas un geek, loin s’en faut. Un poil ours, passéiste et rétrograde, même. Ce n’est que tardivement que je me suis intéressé personnellement aux réseaux sociaux du Web. Jusqu’au début de 2009, ça représentait pour moi un bizarre phénomène réservé aux drogués de l’écran, potentiellement dangereux pour mon intimité, vu l’espionnite aiguë de nos sociétés mercantiles.
Et puis, deux amis auteurs m’ont convaincu qu’il y avait quelque intérêt à faire sa «page» sur un réseau comme Facebook. Autant prendre le plus célèbre, n’est-ce pas ? Après tout, je passe déjà mes journées devant un écran pour des raisons professionnelles ; et ce que l’on va savoir de moi ne sera que ce que j’y livrerai. Bon… Je me suis fendu, à tâtons, d’un «mur» en remplissant les «infos» puis… enfin, vous connaissez le processus, puisque vous lisez ce texte.
Comme tout le monde, une fois connecté aux deux amis en question, j’ai cherché d’autres contacts avec une vague idée : constituer un petit réseau de gens intéressés de près ou de loin par le Livre, son actualité, ses soubresauts, éventuellement mon actualité éditoriale, etc. Donc, je cherchais des auteurs, des collègues, des lecteurs, des illustrateurs, des libraires… De clic en clic, ma foi, la chose s’est un peu étoffée. Je découvrais que le Livre était bel et bien présent, tant en qualité qu’en quantité, sur le réseau francophone au moins.

Nous sommes en septembre 2009, je dois être connecté depuis deux mois environ. Je tombe un jour dans la liste d’amis d’un ami — comme nous le faisons tous, sans doute —, sur Patrick de Friberg, que je ne connais que de nom pour l’avoir vu en librairie sur quelques couvertures. Je fais ma demande gentiment, comme pour les autres, sans le moindre dessein. Je découvre qu’il réside au Canada : ah ! ivresse de l’abolition des distances et de la communication instantanée par-delà les océans… Lisant sur son mur quelques interventions pertinentes d’une certaine Véronique Anger-de Friberg, dont je découvre qu’elle est son épouse, mais surtout un auteur, une éditrice, une Numide — mon mot pour ces nègres littéraires qui font un boulot de Romain. Lors je fais ma demande itou. Au fil des statuts des uns et des autres, je découvre avec intérêt quelques articles de Véronique sur ce qu’elle appelle l’Écolomania. Je ne sais plus exactement comment les choses se sont emmanchées, ni ce que j’ai pu écrire en commentant ceci ou cela : «les paroles s’envolent, les écrits restent», rien n’est moins vrai sur le réseau. Toujours est-il que Patrick, par message personnel FB, m’informe que Véronique met la dernière main à un manuscrit autour de cette question. Le sujet du livre n’étant pas le propos direct de cette histoire, je ne m’étendrai pas.
J’avais supposé évidemment que cette fenêtre sur la toile où je m’affichais en tant qu’éditeur allait m’attirer un certain nombre de propositions de ce type… Normal, et d’ailleurs sain puisque, après tout, c’est en publiant des manuscrits que je gagne ma vie. CQFD.
Je prends donc contact avec Véronique — par message perso FB, toujours — qui me confirme que oui, son travail est quasiment terminé et qu’elle n’est pas contre une publication, si le livre me convient. Alors qu’elle m’envoie son texte, je lui transmet quelques informations sur ma modeste maison et les conditions dans lesquelles elle serait éventuellement imprimée. J’ai l’habitude de ne jamais mentir sur l’état de ma dot avant de passer la bague au doigt. Ma diffusion, notamment, n’est pas la Rolls d’un Albin Michel : nous serons présents en librairie, en FNAC et autres mégastores, mais pas en grandes surfaces, par exemple.

En l’espace de quoi ? une semaine… dix jours peut-être, «l’affaire est dans le sac» comme le filmèrent les frères Prévert.
L'auteur
Le livre est bon, son propos judicieux et bien au centre de la réflexion ambiante (sans jeu de mot), son ton est exactement celui que je veux proposer dans ma collection d’essais, Pertinences. Bien sûr, Véronique ne hurle pas avec les loups, elle va même à contre-courant, mais c’est bien comme ça que je conçois mon rôle d’éditeur. De son côté, Véronique sait avec qui elle s’engage, et elle a quelques exigences. Entre autres que le livre soit en librairie avant la conférence sur le climat de Copenhague ; et qu’il soit disponible en ligne, gratuitement, deux mois après sa parution papier, soit janvier. Aïe, cette volonté-là m’est une violence : j’ai le sentiment que je me coupe l’herbe sous le pied. Cependant Véronique, qui a pas mal réfléchi au livre en ligne, m’assure que cette disponibilité ne devrait pas gêner la vente papier… et puis je veux jouer le jeu numérique jusqu’au bout.
Allez ! Banco, j’envoie un contrat rédigé dans ce sens. Véronique le signe.
Dans ce métier, ni l’un ni l’autre ne sommes tombés de la dernière pluie : nous parlons le même langage, même si nous ne nous sommes jamais vus. C’est une surprise et une première pour moi, instinctif viscéral, qui ai l’habitude de jauger — et d’être jaugé — face à face. À l’exception des échanges d’e-mails nécessaires à l’envoi de documents lourds, et de deux coups de fil, tous nos échanges ont lieu sur Facebook, par message perso, mais aussi sur nos murs respectifs. D’ailleurs, de mon côté, le réseau marche mieux que ma messagerie qui pédale dans le yaourt. Petit à petit, là non plus sans véritable préméditation, nous décidons comme une évidence de ne plus compter que sur le réseau pour la phase déterminante de l’existence d’un livre : sa promotion. Véronique a un lacis serré de plus de trois mille contacts, le mien est beaucoup plus modeste, mais en tout cela fait près de quatre mille.

Alors que je commence la correction et la mise en page, nous allons tester sur nos murs les projets de couvertures. C’est un élément essentiel pour un livre imprimé : sa vitrine, ce qui le distingue des autres sur les tables de librairie. Je vais donc proposer trois ébauches différentes, respectant chacune ma charte graphique, et demander à nos «amis» de donner leur avis, de critiquer, d’éreinter ou d’adhérer à l’une ou à l’autre. Toujours avançant le travail de maquette du texte, je suis les débats, pose des questions, réponds à d’autres. Puisque j’y suis, je teste aussi le texte du verso, premier contact du futur lecteur-acheteur avec le contenu du livre. Les choses s’affinent.
De son côté de l’Atlantique, Véronique entreprend avec quelques amis la réalisation de deux films promotionnels qui seront, eux aussi, mis en ligne et relayés sur nos murs… et celui de nos «amis» qui voudront bien les «partager», selon la terminologie idoine. Un premier est très court, plus une annonce qu’autre chose. Un second est nettement plus élaboré, dans lequel Véronique, face caméra dans leur maison canadienne, avec sa forêt, ses chiens, son bureau, explique son propos.
Le livre est imprimé en offset à 1 200 exemplaires chez Horizon à Gémenos (13), et il arrive comme prévu en librairie dans la semaine du 24, soit dix jours en moyenne avant la conférence de Copenhague qui envahit peu à peu nos médias, à coup de pages spéciales, de reportages «en situation» et autres billevesées complaisantes, Nicolas Hulot sort sur les écrans son pensum culpabilisant, après que Yann Artus-Bertrand ait notablement alourdi son bilan carbone… Bref, l’actualité est au consensus mou sur ces questions, et le livre de Véronique va faire tâche, mais alors tâche de bolognaise sur la chemise immaculée d’un présentateur de JT.

Les débuts sont foutrement difficiles. Le diffuseur est 40% au-dessous des chiffres annoncés, les services de presse — constitués essentiellement à partir du réseau Facebook de Véronique — ne donnent rien, sinon des reprises éhontées des affirmations et démonstrations du livre, non sourcées bien sûr. Éric Zemmour — qui n’est pas encore dans la tourmente de son dérapage à Canal +— cite Véronique quasiment dans le texte sur France2 et RTL, sans faire la moindre mention au livre que je lui ai envoyé et que visiblement il a lu. D’autres journalistes, dont certains «en vue», joignent Véronique pour lui dire qu’ils goûtent fort ce son de cloche différent dans le mièvre concert unanime, mais… qu’ils ne se sentent pas «libres» d’en parler.Chacun en tirera la conclusion qu’il voudra.
L'éditeur
Mais sur Facebook, où le livre est présenté, où le film est mis en lien… le débat est rageur : Véronique se fait insulter, je perds quelques «amis»… Beaucoup néanmoins sont curieux, cherchent le titre, présent en librairie, mais à quelques quatre cent cinquante exemplaires sur l’ensemble du territoire français. Quinze jours encore pour qu’enfin il arrive en Belgique, en Suisse. Quant au Canada, il faudra attendre… mai2010 ! Certes, ce n’est pas vraiment un livre cadeau et bien peu ont dû se retrouver sous le sapin. Là aussi, les manquements de la diffusion, et des libraires qui ne veulent pas commander en pleine période des fêtes, sont pointés sur Facebook par nos nombreux correspondants. L’occasion de lancer quelques débats sur la diffusion dans ce pays.

Puis, Copenhague prend fin. La montagne a accouché d’une souris, aussitôt boulottée par le gras matou de la Real politic… Le ton médiatique commence à changer : certains se demandent si les arcs de triomphe bâtis à la va-vite autour des climato-alarmistes n’étaient un peu prématurés. Comme sur Facebook plus tôt, les positions se radicalisent dans les colonnes et sur les antennes. Le GIEC, hier encore Vatican écolomaniaque, se fissure un peu partout. On donne la parole à des gens qui, hier encore, passaient au mieux pour de doux dingues ; Claude Allègre sort «L’Imposture climatique», chez Plon, en mars2010. Il cite au moins trois fois le livre de Véronique, et indique «La dernière Croisade» dans sa bibliographie.
Nous avons pris la décision, sur proposition de Véronique, de reporter au 15mars la mise en ligne du livre. On ne sait jamais…
Et les ventes décollent doucement. Oh, pas de quoi pavoiser, mais les libraires semblent découvrir qu’ils ont eu en rayon un titre qui donnait, un peu avant la grand-messe danoise, un autre son de cloche. Aujourd’hui «La dernière Croisade» est en ligne, lisible gratuitement et les ventes ne tarderont pas à atteindre les mille exemplaires réels, ce qui, dans le contexte de l’édition française, est loin d’être ridicule.
Et surtout, le discours a changé sur cette question : la foi du charbonnier n’est plus de mise sur la question des bouleversements climatiques. Je ne vais pas jusqu’à avoir la prétention d’y être pour quelque chose. Quoique… Véronique, elle, est persuadée que si ! Néanmoins, cette petite pierre aura enrichi le débat, suscité la polémique et la remise en cause dans le Landernau de nos réseaux. Petite pierre qui a du tomber dans la chaussure de quelques-uns car, puisque début février ma première page Facebook disparaît dans les limbes, «dispersée façon puzzle», comme disait l’autre.

Je considère surtout que j’ai fait le travail pour lequel j’ai choisi ce métier : permettre à une opinion non consensuelle d’être entendue sur l’agora.
Enfin ce texte-ci, en donnant à tous ceux qui ont participé à cette expérience de près ou de loin — par des avis, des commentaires, des conseils, des saillies, des colères, des adhésions — clos en quelque sorte le cycle d’une création intellectuelle tangible, dans l’économie réelle, réalisée en direct sur le virtuel de leur mur.".

Nicolas Grondin, éditeur. L’Arganier, Un arbre au seuil du désert



(1) A titre d'information, le nombre moyen des ventes de la catégorie "essais" est de 153 exemplaires... (Source : Rapport 2008 des chiffres de la culture en France. Télécharger le document PDF du Ministère de la Culture). Lire aussi cet article stupéfiant sur la réalité des chiffres de l'édition : "Flops en stock" (Bibliobs). Lire aussi "Le jeu de l'oie du web éditeur...


Nicolas Grondin s’engage dans les métiers du livre en rachetant, à 26 ans, la Librairie des Arcades à Pont l’Abbé (Finistère) qui fut l’une des librairies associées au festival Étonnants Voyageurs de Saint-Malo. Huit ans et une belle réussite plus tard, il développe avec succès la Librairie L’Atelier (Paris, XX°). Après un passage chez Vilo, Nicolas Grondin prend, en 2001, prend la direction éditoriale des Éditions Carnot, puis en 2004 celle de L’Arganier. Entre 1998 et 2006, il écrit une vingtaine d’ouvrages pour divers éditeurs dont deux polars édités chez Fleuve Noir.


Véronique Anger s’intéresse aux théories sur le réchauffement climatique au début des années 2000 et a écrit une trentaine d'articles (dont « Claude Allègre, hérétique ? » en 2006) sur la montée de ce qui ressemble de plus en plus à une nouvelle intolérance d'ordre religieux. Dans son dernier essai La dernière Croisade. Des Ecolos... aux Ecolomaniaques ! elle tente de décrypter l'écolomania sous l'angle religieux. N'étant pas scientifique, son propos n'est pas un plaidoyer pour ou contre les thèses sur le réchauffement climatique de nature anthropique, mais les questions principales sont : Doit-on accepter sous prétexte de bonnes intentions un nouveau dogme religieux ? A qui profite l'écolomania ? La fin justifie-t-elle les moyens ? Tout savoir sur La dernière Croisade. Présentation vidéo par l’auteur.

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