vendredi 5 juin 2009

ECOLOGIE ET LUTTE CONTRE LA PAUVRETE, C’EST POSSIBLE !

« Pour éviter la catastrophe, il faut en énoncer la fatalité » dirait Jean-Pierre Dupuy, le « catastrophiste éclairé » cité par le philosophe Edgar Morin dans l’émission de France Culture Les nouveaux chemins de la Connaissance de Raphaël Einthoven en février 2008.

« L’improbable n’est pas certain… »
Pour ma part, je partagerais plutôt le point de vue optimiste de M. Morin : « La fatalité peut rendre tout aussi passif et de toute façon, il n’y a pas de fatalité, il y a la probabilité. Un cas d’improbabilité formidable d’importance décisive -celui des deux guerres médiques[1]- où un énorme empire, l’Empire perse cinq siècles avant notre ère, a voulu absorber la petite cité d’Athènes. Au cours d’une première guerre, les Athéniens avec l’aide des Spartiates, ont refoulé les Perses à la bataille de Marathon[2]. Il y a eu la deuxième guerre médique[3] où cette fois les Perses ont conquis, incendié, ravagé Athènes. Ils allaient gagner, mais dans le golfe de Salamine le stratège athénien a tendu un piège à la flotte perse et l’a détruite. Résultat, l’improbable est arrivé : Athènes a vécu ! Et la philosophie et la démocratie sont nées quarante ans plus tard. (…) Je pense qu’il y a des forces dispersées un peu partout vers les prises de conscience qui peuvent jouer un rôle. Autrement dit, l’improbable n’est pas certain. ».

Profitons de cette Journée mondiale de l’Environnement pour rendre hommage à ces « forces dispersées » qui mènent des expériences concrètes et encourageantes telles que celle menée par l’île Maurice ou l’île de La Réunion, fières de leur prise de conscience écologique.

Maurice, un modèle pour la planète

Le premier Ministre, M. Navin Ramgoolam, et le gouvernement ont décidé de lancer un projet de développement durable ambitieux à l’échelle internationale, « Maurice, île durable[4]» (MID. Mauritius : the sustainable Island) et de faire de Maurice un exemple pour le monde : « Si l’île Maurice réussit, le monde peut réussir » affirme le scientifique Joël de Rosnay[5], originaire de Maurice et conseiller spécial du Premier Ministre de l’île.
Selon M. de Rosnay, qui a eu l’idée de ce « projet pilote » en tant que modèle pour tous les autres pays du monde, « ce concept n’est pas une fantaisie écologique. Il recoupe l’ensemble des défis auxquels le pays doit faire face. L’énergie, la gestion de l’espace et des déchets, la préservation de l’environnement et la généralisation d’une conscience écologique et durable dans les différents secteurs économiques sont interdépendants.(…) Une île durable coûte cher si l’on se borne à une vision à court terme. Une île durable est économiquement viable si l’on voit sur le long terme. La durabilité est une notion que l’on retrouve dans tous les domaines.(…) Les politiques, les acteurs de la société civile mais aussi chaque citoyen peuvent être porteurs de ce projet ambitieux. ».

La production énergétique sera le point fort de ce projet : les petits producteurs d’énergie indépendants (PPEI) seront appelés à jouer un rôle crucial dans la volonté du gouvernement, qui affirme vouloir une « autonomie énergétique partielle du pays ». L’objectif est de produire 65% d’énergie renouvelable et seulement 35% d’énergie fossile (ou non renouvelable) d’ici à 2028. Les gisements d’énergie locaux, comme la biomasse (canne, biogaz par fermentation des déchets), l’énergie solaire, éolienne, hydraulique, géothermique et marémotrice notamment, devraient permettre d’atteindre cet objectif. Le projet ne se limitera pas à des investissements dans les énergies de substitution, mais il visera également à changer les mentalités et les habitudes culturelles des Mauriciens en matière de production et de consommation d’énergie. Les secteurs du tourisme, particulièrement sensible au tourisme « vert », et de l’industrie (cannière notamment) de l’île sont directement impliqués. Des mesures concrètes (subventions aux entreprises, aides fiscales aux foyers,…) seront appliquées pour aider à développer cette croissance « verte ». Des programmes sont mis en place pour sensibiliser adultes et enfants. Par ailleurs, des contacts ont déjà été pris avec des industriels français, des personnalités médiatiques et politiques, des universités et des fondations qui se sont engagés à soutenir ce projet qui touche l’énergie, mais aussi l’aménagement du territoire et le développement socio-économique.

Pour M. de Rosnay, le défi écologique consiste à changer de paradigme « énergétique » et à adopter une nouvelle approche : le « peer-to-peer énergétique ». « Dans le paradigme énergétique industriel, nous sommes les consommateurs passifs d’énergie produite par des « centrales » (thermiques, nucléaires, hydroélectriques). Il suffit de se brancher à une prise et de payer la facture. Je propose de changer de paradigme en adoptant une approche systémique de l’énergie. Non plus une guerre des « filières », mais la mise en œuvre de matrices multimodales de production d’énergies renouvelables à partir d’un « mix » énergétique combinant le solaire (thermique et photovoltaïque), l’éolien, la biomasse, l’hydroélectrique, la géothermie et surtout les économies d’énergie. Dans cette optique, je préconise la prolifération de Petits Producteurs Indépendants d’Energie (PPIE) régulés par des « agrégateurs » de la « longue traîne[6] » de l’énergie, jouant à la fois le rôle de « courtier » (pour racheter l’énergie produite) et de « facilitateur » (pour aider dans le choix des équipements les mieux adaptés et assurer les consignes de sécurité ou d’esthétique, notamment pour les éoliennes). ».

Les promoteurs du projet rappellent que l’île Maurice dispose de tous les atouts nécessaires pour assurer son autonomie énergétique (soleil, biomasse, vent, chutes d'eau, vagues, biogaz, géothermie et un jour sans doute l'hydrogène produit par la biomasse). Leur objectif est de permettre à l’île de ne plus dépendre des pays producteurs et exportateurs d’énergies fossiles (pétrole et gaz) tout en faisant de la protection de l'environnement sa priorité. C’est en cela que Maurice représenterait un modèle pour le monde.

De plus en plus d’initiatives « durables » voient le jour

En octobre 2008, au Canada, le Premier ministre du Québec Jean Charest a profité de son passage dans le Vermont (USA) pour rappeler l’ambition du Québec de devenir le premier producteur d’énergie renouvelable au monde. Le Premier ministre et le gouverneur de la Nouvelle-Angleterre James H. Douglas réfléchissent ensemble sur la manière d’accroître les relations économiques et énergétiques ainsi que la coopération environnementale entre le Québec et le Vermont.

En France, grâce au sénateur de l’île de la Réunion Paul Vergès, La Réunion est en avance de dix ans sur l’île Maurice et sur la métropole en matière d’énergies renouvelables. Des mesures fiscales ont été adoptées pour inciter les Réunionnais à s’équiper de chauffe-eau solaire par exemple. M. Vergès a fait du réchauffement climatique une priorité nationale et a fait voter une loi allant dans ce sens en 2001. C’est également lui qui a fondé l'Agence régionale de l'énergie de La Réunion (ARER) et lui a assigné des missions d'accompagnement et de développement du concept d'autonomie énergétique à 100 % d'énergies renouvelables à l'horizon 2025.

Dans la métropole française aussi, les énergies renouvelables ont le vent en poupe. Que ce soit dans les logements individuels ou collectifs ou sur les sites industriels, le solaire comme le photovoltaïque connaissent un succès croissant. Richard Loyen, membre de l’association professionnelle de l’énergie solaire Enerplan, prévoit que seront équipés 1,6 million de logements d’ici à 2012 et huit millions d’ici à 2020[7]. Par ailleurs, près d’un an après le Grenelle Environnement, le ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, Lors de la séance de vœux à la presse du 21 janvier 2009, Jean-Louis Borloo a rappelé ses intentions : « Grenelle et Copenhague sont pour moi la première marche du nouveau siècle ». Quelques mois plus tard, en mars 2009, il présentait son plan pour les énergies renouvelables. Ce plan a l’ambition de faire économiser vingt millions de tonnes de pétrole par an d’ici à 2020, de remplacer 23% de l’énergie fossile par des énergies renouvelables, de construire une centrale solaire par région d’ici à 2011, de doter la France d’un parc de huit mille éoliennes en 2020 (installé en mer notamment), de créer un « fonds chaleur renouvelable » d’un milliard d’euros pour soutenir les projets utilisant des sources d’énergies renouvelables (biomasse, géothermie, solaire, éolien, hydroélectricité…) et de diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050.

Au niveau international, après de multiples blocages politiques, l’IRENA (Agence Internationale pour les Energies Renouvelables) voit enfin le jour, le 26 janvier 2009 à Bonn. Constituée par cinquante pays dont la France (Allemagne, Espagne, Danemark…) l’IRENA espère réunir à terme une centaine d’Etats dont le Brésil, la Chine, les Etats-Unis, le Japon et quelques pays émergents. L’IRENA fera la promotion du solaire, de l’éolien, de la géothermie, de la biomasse et de toute solution alternative « propre » qui permettra de sortir du « tout-carbone ». Les membres fondateurs souhaitent également rapprocher les pays du Nord et ceux du Sud en favorisant les transferts de technologie, l’assistance ou l’aide au financement du développement des pays pauvres.

Du rêve à la réalité ?
Il faut aussi souligner l’initiative française contre la pauvreté énergétique de l’Afrique. Le 28 mai 2009 à Nairobi, Jean-Louis Borloo annonçait son plan : « Energizing Africa: from dream to reality » (Apporter de l’énergie à l’Afrique : du rêve à la réalité »). Ce projet permettra d’apporter l’électricité à la population subsaharienne en utilisant le potentiel d’énergies renouvelables présentes sur le continent africain (géothermie, barrages, solaire…) tout en combattant le réchauffement climatique. Ne pas avoir l’électricité représente un handicap énorme pour le développement économique, l’accès à l’éducation et à la santé. Avec 400 milliards d’euros investis sur 25 ans, l’Afrique peut devenir un continent « durable » et ce, dans tous les sens du terme.

Dans un autre registre, Mikhaïl Gorbatchev, dernier dirigeant de l’URSS qui a contribué à la fin de la guerre froide et à la chute du Mur et actuel président de la Fondation Gorbatchev et de Green Cross International, s’est vu décerner un Energy Global Awards par le Parlement européen pour son action d’ardent défenseur de l’environnement. Pour l’ancien chef d’Etat, « Les problèmes majeurs de l’humanité sont la pauvreté, la qualité de l’air et de l’eau, les conditions sanitaires, une productivité agricole faible…mais tous ces problèmes sont liés à l’écologie. C’est un non-sens de dire que l’écologie est un luxe : c’est la priorité première de notre ère ! La seconde priorité, c’est la lutte contre la pauvreté, puisque 2 milliards de personnes vivent avec un ou deux dollars par jour. La troisième priorité est la sécurité mondiale, qui inclut la menace nucléaire et les armes de destruction massive. Ce sont nos trois urgences, mais je place l’écologie en première position car elle nous touche tous, directement. ».

Un peu partout sur notre planète, des projets ambitieux et réalistes de développement durables sont lancés avec le concours de la population. Oui, de plus en plus d’initiatives voient le jour, et des citoyens agissent concrètement, au quotidien, sans pour autant donner des leçons de morale au reste de l’humanité. Ce sont en ces forces dispersées que je crois, en ces forces vives qui agissent avec conviction et efficacité parce que l'écologie faisait partie de leur vie bien avant que l'écolomania ne s'en mêle.

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[1] Les guerres médiques ont opposé les Grecs aux Perses au début du Ve siècle av. J.-C.
[2] Le 13 septembre 490 av. J.-C., la bataille de Marathon (au nord d'Athènes) permet aux troupes athéniennes (soutenues par celles de Platées) de contrer une attaque de l'empire perse des Achéménides.
[3] La bataille de Salamine (bataille navale) opposa la flotte grecque menée par Eurybiade et Thémistocle à la flotte perse de Xerxès Ier en 480 av. J.-C.
[4] Le groupe « Maurice, une île durable » sur Facebook : Le groupe "Maurice, une île durable ?" sur Facebook : http://www.facebook.com/profile.php?id=567688439&ref=name#/group.php?gid=15674074589&ref=ts
[5] Extraits d’une interview publiée sur le site www.lexpress.mu en novembre 2007. Joël de Rosnay, supporter du développement durable depuis les années 1960 (bien avant que l’écologie soit un sujet à la mode…) est l'auteur du « Manifeste pour une France solaire » paru dès 1980.
[6]« La longue traîne » (de l'anglais « Long Tail ») est une expression utilisée par Chris Anderson dans un article du magazine Wired traduisant l’idée selon laquelle les produits ne générant qu’un faible volume de vente peuvent collectivement représenter une part de marché égale ou supérieure à celle des best-sellers si les canaux de distribution offrent assez de choix. Autre exemple : « la longue traîne » du Net qui nous apprend que l’agrégation de milliers de sites web à faible audience permet d’atteindre une audience comparable à celles des plus gros sites.
[7] On estime que les énergies solaire et éolienne sont compétitives avec les énergies fossiles à partir de 80 dollars le baril.
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Photo empruntée au groupe Facebook : « Maurice, une île durable ? ».

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