J’ai écrit ce billet en réaction à l'article de Paul Villac, « Allez vous faire enc… ! ont écrit des lycéens à leur professeur. Comment est-ce possible ? », publié dans le journal citoyen AgoraVox du 24 novembre 2009: http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/allez-vous-faire-enc-ont-ecrit-des-65722.
___________________________
« Allez vous faire enc… » ? ont écrit des lycéens à leur professeur… Dans une société constituée d'enfants-roi où "C'est mon droit..." a remplacé : "J'ai des droits, mais j’ai aussi aussi des devoirs", où l'on confond « liberté » avec "Je fais ce que je veux où je veux quand je veux" et où responsabilité ne rime plus avec cette fameuse liberté devenue libertaire à cause des « saboteurs » de vocabulaire, où les profs sont méprisés, leur autorité réduite à une peau de chagrin avec la complicité de l'Etat et des parents d’élèves, franchement, qu’y a-t-il de si étonnant ?
Ma vision de tout ce cirque, c'est que certains jeunes de lycées publics qui estiment avoir tous les droits n'ont même pas conscience (ce n'est pas leur faute d'ailleurs, mais plutôt celle de leurs parents, de certains éducateurs et de l’Education nationale qui ont baissé les bras) qu'ils vont gâcher leurs meilleures armes pour avoir une chance d’obtenir un bon emploi lorsqu'ils auront l'âge de s'assumer financièrement. Rechignant à l'effort, refusant d’apprendre ce qui les ennuie, incapables de se concentrer pendant les cours (d’où cette demande légitime des profs de réclamer la fermeture des portables) ces jeunes dits difficiles se feront doubler par les bons élèves du « privé ». Un marché porteur, comme le souligne Paul Villach puisque de plus en plus de parents rejettent les lycées publics. Des lycées qui destinent les gamins à l’échec en les dirigeant dans les filières les moins cotées au lieu de les préparer à l'entrée dans la vie active.
Les enfants des classes sociales favorisées, dont les parents eux ne mégotent pas sur les moyens quand il s’agit de mettre toutes les chances de leur côté pour gatantir à leur progéniture de phagocyter les meilleurs postes. Les inégalités se perpétuent en dépit d’un système scolaire qui prétend respecter l’égalité des chances. Les emplois les mieux rémunérés vont aux enfants des classes favorisées. Aux autres, les emplois subalternes… ou le chômage.
Il arrive aussi que des parents issus des classes moyennes se privent afin d’offrir à leurs enfants des études en institution privée. D’autres usent de subterfuges pour pouvoir inscrire leurs rejetons dans des lycées publics de bonne réputation. Ces lycées, comme ces enfants, sont l'exception mais, pour brouiller les pistes, les médias et le gouvernement vont donner en exemple la réussite d’anciens mômes de cités ou de ces Français moyens parvenus miraculeusement à crever le plafond de verre et à décrocher des postes de cadres dirigeants. Dans les années 1960/1970, Pierre Bourdieu[1] ou Jean Piaget dénonçaient déjà les injustices sociales et leur répétition de décennie en décennie.
A qui profite ce beau désordre organisé depuis une bonne vingtaine d'années ? Qui aurait -dans le contexte de course aux emplois les plus rémunérateurs et de protection des acquis- intérêt à ce que les choses changent ? Oui, qui aurait intérêt à ce que chacun dispose des mêmes chances -au sens républicain du terme- , à ce que le fameux « ascenseur social » fonctionne ? Certainement pas ceux qui phagocytent les postes les plus rémérateurs et font en sorte de les transmettre, quasiment en héritage, à leurs descendants ? Voici quelques chiffres, extraits du livre La Démocratisation de l'enseignement de Pierre Merle (La Découverte, 2002) cités par François Dubet, auteur de l'article : « Les pièges de l'égalité des chances » publié dans Le Monde du 30 novembre 2009 : "50 % des enfants de cadres et 5 % des enfants d'ouvriers accèdent aujourd'hui aux classes préparatoires - Près de 80 % des élèves en CAP sont d'origine populaire - Si quelques filles accèdent à l'Ecole polytechnique, mais 61 % des emplois peu qualifiés et 82 % des emplois à temps partiel sont occupés par des femmes.".
Qu’a-t-on fait de nos écoles républicaines ?
___________________________
[1] Je fais référence, notamment, à l’essai de Pierre Bourdieu : Les Héritiers (avec Jean-Claude Passeron. Minuit, 1964) et au livre Où va l’éducation ? de Jean Piaget (Gonthiers Denoël, 1972).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire