Et bien, j’ai une réponse cohérente et tout à fait intéressante à vous soumettre. Invité de l’émission les 4 Vérités sur Télématin (France 2/TV5 Canada) ce matin, Gérard Mermet, sociologue, auteur de "Francoscopie"(1), une étude sur le comportement de consommation des Français, répondait aux questions posées par Roland Sicard(2). Voilà un résumé des thèmes qui nous intéressent :
Le pouvoir d’achat a baissé :
« Les Français affirment que leur pouvoir d’achat a baissé ou va baisser dans les 6 prochains mois en moyenne, et ce n’est pas le cas en moyenne. En 2009, on peut dire, d’ores et déjà, que le pouvoir d’achat aura connu une très légère hausse en moyenne avec une consommation qui se sera très bien maintenue, +0,7 %, une inflation en baisse et un taux d’épargne en plus qui aura augmenté. Que le pouvoir d’achat ait baissé peut être vrai pour un certain nombre de Français qui sont vulnérables à la crise, mais ce n’est pas vrai en moyenne. ».
L’argent(1) est au centre de tout :
« On parle plus facilement de l’argent, de l’argent des autres, on en parle pour le fustiger, pour dire qu’il est excessif, on l’a fait pendant la crise pour parler des bonus, des salaires des patrons ou autres avantages de retraite… et renforce encore ce sentiment d’inégalité et d’injustice entre ceux qui ont tout et ceux qui ont le sentiment d’avoir rien si ce n’est rien du tout. ».
La méfiance à l’égard des élites :
« Dans notre société, il y a une difficulté de s’écouter, de s’entendre, de se comprendre. On l’a vu à l’occasion de la grippe A par exemple, quand les pouvoirs publics affirme quelque chose, immédiatement une politique s’installe pour savoir s’ils ont raison et s’ils ne disent pas des choses contraires à la vérité… Cette suspicion ne facilite pas le « vivre ensemble » et nous sommes dans une sorte de « non-société » aujourd’hui et il va falloir rétablir cette confiance, ce lien entre les « vraies gens » comme on dit et les élites, en tous les cas les acteurs économiques, politiques, de notre société. ».
A propos de l’identité nationale française :
« Il y a une grande quête sur l’identité nationale chez les Français qui ne savent plus à quoi ils appartiennent, est-ce qu’ils appartiennent au « microlocal », la commune, le quartier, l’immeuble qu’ils habitent ou, au contraire, à quelque chose qui les dépasse beaucoup plus qui serait l’Europe ou l’ensemble de la planète. Donc, il y a des niveaux d’appartenance qui restent à définir et nous sommes, je le disais, dans une « non société » dans laquelle les systèmes de valeur ne sont plus suffisamment communs pour que chacun puisse inscrire sa propre vie dans ces systèmes de valeur. ».
La famille reste centrale :
« Contrairement à ce qu’on a beaucoup dit, la famille n’a pas disparu, au contraire, elle sort renforcée de cette période de difficulté, de transition, de crise. J’ai l’habitude de dire : quand c’est dur dehors, il faut que ce soit doux dedans… et les Français essaient de se fabriquer un nid, un refuge, un cocon dans lequel ils se sentent bien et c’est sans doute une explication au taux de natalité plus élevé en France que dans d’autres pays. ».
Le taux de natalité plus élevé que dans le reste de l’Europe :
« Précisément parce que, face à un monde que l’on ne comprend pas, on a envie de créer un petit monde à soi que l’on connaît bien, dans lequel on a confiance et dans lequel on vit. Cela explique que la famille soit aujourd’hui au centre de la vie des Français. ».
Dans une interview au Monde du 14 septembre 2009, le sociologue -qui a, par ailleurs, établi une typologie d’une « France à 3 vitesses face à la crise » en distinguant les « tranquilles » (fonctionnaires, retraités…), les « agiles » (jeunes diplômés capables de rebondir…) et les « fragiles »- se disait : « persuadé que le premier groupe s’est étoffé au cours des derniers mois. Une très grande majorité de Français passe entre les gouttes. Et beaucoup se sont rendu compte que leurs inquiétudes étaient un peu vaines. ».
Il récidive, un tantinet provocateur, dans le même quotidien, le 26 décembre 2009 : « La crise, mais de quelle crise parle-t-on ? Cela fait trois ans que l’on a habitué les Français à une situation de misérabilisme sur la baisse du pouvoir d’achat et des revenus. Et on semble découvrir que la crise ne commencera vraiment que demain matin. Il n’y pas eu de baisse de pouvoir d’achat disponible en 2007 (et) on risque de s’apercevoir que ce sera encore le cas en 2008. ».
A la lumière de cet éclairage, le mystère du paradoxe français apparaît sous un jour nouveau, notamment ce sentiment de précarité ressenti par tant de mes concitoyens. Voilà donc une prise de conscience positive, qui pourrait signifier une reprise de confiance, voire la rupture de ce cercle vicieux ! Quand la perception ne correspond pas à la réalité, il est de notre devoir de nous remettre en question, de relativiser nos émotions, nos frustrations et nos perceptions, en essayant au moins d’analyser les faits(3) de manière plus objective.
Cela étant dit, je pense tout de même qu’il pourrait être utile d’ouvrir la réflexion sur l’injustice sociale, un sujet qui me titille les neurones depuis un bout de temps ! Et si je choisis de parler d’injustice sociale et non d’inégalité sociale, c’est simplement parce que la population ne ressent pas d’injustice vis-à-vis d’un sportif ou d’un artiste qui engrangent des dizaines de millions d’euros par an. En revanche, le sentiment d’injustice est très fort lorsque les Français découvrent les rémunérations indécentes des traders ou des dirigeants des grandes entreprises...
Il existe une réelle rupture entre le cercle ultra fermé de ceux qui détiennent le pouvoir économique et politique, et le reste des Français. A commencer par les cadres, qui pensent logiquement avoir droit d’accéder un jour aux postes ultimes (notamment de cadres dirigeants de PME, de cadres sup et de cadres dirigeants de grandes entreprises) mais qui n’y parviendront jamais.
L’échec du système économique devrait nous sauter aux yeux quand le rêve d’entreprendre disparaît au profit de l’accumulation de richesses. Par le passé, l’entrepreneur pensait : « Je vais fonder mon entreprise et je serai riche ! ». Aujourd’hui, la question de la réussite économique se résume à : « Comment vais-je faire du fric ? ». Une des explications à cette dérive, c’est l’abandon progressif par le système bancaire de sa mission essentielle d’investir dans le capital risque et de financer les entreprises. Pour sortir du marasme, les Etats ont refinancé les banques mais, au sortir de la crise, les banques, elles ont refusé de refinancer l’économie réelle au motif fallacieux que c’était là le rôle de l’Etat en période critique.
Alors, certes, on peut constater que les Français n’ont pas vraiment de raison de se plaindre si l’on considère les indices statistiques du coût de la vie. Cependant, il semble de plus en plus compréhensible qu’ils se révoltent (sans réussir vraiment à cerner les causes de leur malaise) face à un système qui récompense les membres d’un cercle auquel ils n’auront jamais accès et creuse un fossé toujours plus grand entre la France "d’en haut" et celle "d’en bas"…
(1) Voir « Francoscopie 2010. Les Français au quotidien » (éditions Larousse, octobre 2009).
(2) Pour voir l’interview de Gérard Mermet en intégralité sur TéléMatin : http://telematin.france2.f
(3) Une étude OCDE d’octobre 2008 montre que si la pauvreté et les inégalités ont globalement progressé dans le monde occidental depuis 20 ans, elles sont restés stables en France. Les revenus annuels des 10% de Français les plus pauvres s’élèvent en moyenne à 9.000 dollars (en parité de pouvoir d’achat entre des pays qui n’ont pas la même devise). Ce chiffre est supérieur de 25% à la moyenne OCDE. Les 10% de Français les plus riches gagnent 54.000 dollars par an en moyenne, équivalente à la moyenne observée dans l’OCDE. Depuis 1985, les inégalités entre les salaires bruts masculins à temps plein ont diminué de 10% en France alors qu’elles ont augmenté de 20% en moyenne dans le reste de l’OCDE.
Sur la période 1985-2005, le taux de pauvreté (proportion de personnes sous le seuil de pauvreté, la moitié du revenu médian dans un pays donné) a augmenté dans les deux tiers des pays de l’OCDE sauf la France, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, les États-Unis, la Grèce, le Mexique et le Portugal. Le nombre de personnes ayant connu des périodes de trois ans ou plus sous le seuil de pauvreté est également deux fois moins élevé en France que dans les autres pays de l’OCDE en moyenne.
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