jeudi 18 mars 2010

ZONE XTREME : C'EST MILGRAM QU'ON ASSASSINE...


Laisser croire que, sans menace physique, « 80% des gens » seraient susceptibles d’accepter de faire souffrir un innocent si on leur en donnait l'ordre est faire insulte à l'intelligence des individus qui ont refusé le postulat de base du jeu pilote.

Si l’on se fie aux chiffres de l’équipe de Zone Xtreme, le "documentaire" diffusé en grandes pompes hier sur France 2, 80% d’entre eux environ (2600 sur 13000 des personnes sollicitées) ont répondu négativement à l’idée d'y participer. En revanche, imaginer que le flingue sur la tempe, une majorité de gens auraient accepté de tuer, est vraisemblable… quoique non démontré. Toujours selon les explications de France 2, 2600 personnes auraient souhaité "jouer", mais seuls 80 candidats ont été sélectionnés. Un choix sujet à caution puisque l’expérience est loin d’être une vraie expérimentation scientifique, contrairement à ce que sous-entend la promotion faite autour de ce jeu de dupes.

Jean-Léon Beauvois(1), le psychologue social qui apporte sa caution scientifique à ce test fait un sacré raccourci pour arriver à démontrer (sans tenir compte du taux de refus ou de non réponse de 10400 personnes) que "80% des gens" se transformeraient en bourreau sous la pression (ce qui est faux puisque les candidats ont adhèré d’eux-mêmes au principe du jeu : jouer les tortionnaires en envoyant des décharges électriques à un pauvre bougre qui ne leur a rien fait…) et se sont engagés qui plus est par contrat. « Moralement », si j'ose dire...

Un psy aux allures de gourou pour qui la fin justifie les moyens... et veut à tout prix démontrer que sa thèse est juste : la télé rend l’être humain violent ? A partir de là, personne n'est coupable, personne n’est responsable. Les gens sont infantilisés, déresponsabilisés, puisqu’ils perdraient leur libre arbitre sous la pression télévisuelle… La télé, et la société tout entière rendraient des gens doux comme des moutons violents. Sans blague ?

Accepter l’inacceptable : s'engager par contrat à envoyer des décharges électriques (si ce n’est mortelles tout au moins douloureuses) à un pauvre type) n’est-ce pas mettre consciemment le doigt dans l'engrenage ? Où est la pression physique ou psychologique exercée sur des candidats invités à s'inscrire par courriel ? La vraie question que devraient se poser ces 80 personnes retenues parmi 2600 candidats potentiels est celle-ci : Hors de tout contrôle social, avec la garantie de l'impunité, est-ce ma vraie nature qui s’est exprimée ? Et nous, nous devrions nous demander s'il faut vraiment s'étonner que sur ceux qui ont accepté le principe de faire souffrir un inconnu qui ne leur a rien fait passent à l'acte ? Pourquoi ceux qui "se rebellent" (parmi cet échantillon de 80 personnes non représentatives de la population...) acceptent-ils tout de même d'envoyer quelques décharges bien dosées avant de commencer à être tourmentés par leur conscience ?

En revanche, on aurait pu se féliciter que 80% des personnes sollicitées aient tout simplement refusé de participer au pilote. Personnellement, je trouve cela plutôt rassurant ! L'exemple que l'on veut donner aux jeunes générations est-il celui de la déresponsabilisation permanente ? Pauvres petites choses irresponsables, vous n'aviez pas le choix, la pression de la hiérarchie, du pouvoir, de la société, de la télé... est telle que vous n'êtes jamais vraiment coupables ? Tenir un tel discours n’est pas pousser au civisme ni à l’exemplarité…

Pour conclure, je dirais que cette « expérimentation » télévisuelle inspirée de la très célèbre expérience de Migram relève de l'escroquerie intellectuelle. Une expérience de Milgram dénaturée. En réalité, Zone Xtreme est à Stanley Milgram ce que les sondages d'opinion sont à la vérité scientifique...


(1) Egalement auteur de : Petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens (PUG, 2002).

Illustration : © A MARCHI / MAXPPP parue dans Le Point du 16 mars 2010 ("La télévision est un totalitarisme tranquille". Entretien avec Emmanuel Berretta). ______________________

Plus d'infos :
- Expérience du Pr Stanley Milgram (tests de soumission à l'autorité, de 1960 à 1963)
- Expérience de Stanford, menée par le Pr Philip Zimbardo (inspirée de l'expérience de Milgram, 1971)
- Expériences de Salomon Asch sur le pouvoir du conformisme (1951).

Pour ceux qui veulent aller plus loin, lire : Soumission à l'autorité de Stanley Milgram (Calmann Lévy, 1974).

Article lié : "Il existe aussi une banalité du Bien", porteuse d'espoir.

1 commentaire:

Véronique Anger-de Friberg a dit…

Très intéressant mot de la fin pour Joe le paneliste sur le forum France 2 consacré au débat sur ce jeu (avec la participation du réalisateur qui se sent obligé de se justifier apparemment):
« La problématique principale fut que le panel a été préparé par une boite de marketing et non un protocole scientifique. Dans le premier cas, la méthodologie nous permettrait d'exclure les 13000 du départ en ne retenant dans nos chiffres que les 2600 (le chiffre exact n'est pas celui-là...) restant. Dans le protocole scientifique qui validerait ce doc comme un nouveau test de Millgram, c'est impossible. On ne peut rejeter, parce que l'on ne connait pas le raison du "no return" tout simplement parce que le seul fait d'avoir rejeter une éventuelle participation à un jeu pour une raison philosophique, religieuse ou morale est une constante statistique. Alors, cela ne sert à rien de tourner autour des chiffres doctement, ou de prouver comme Dubois que 80% du panel est un bourreau potentiel... Cela ne sert qu'un but, celui du sociologue anti-croissance qui désire un retour à la nature et la mise à la poublle du diable de la technologie... ».
Il précise d'une manière très professionnelle la non prise en compte des "refus" de participer au jeu par les personnes sollicitées par courriel, ce que j'ai souligné, mais avec des explications assez maladroites en début d'article... Voilà qui devrait permettre de clarifier la méthode et, surtout, expliquer pourquoi ce vrai-faux jeu/vraie fausse expérience relève du marketing et non de l'expérience scientifique.