vendredi 15 octobre 2010

Arnaud Poissonnier, co fondateur de Babyloan.org : Pour un micro crédit solidaire et l'émergence de nouvelles solidarités


Du 15 au 17 octobre 2010 se déroulent les 3ème Rencontres de Babyloan au Jardin d’acclimatation à Paris. Rencontre avec Arnaud Poissonnier, cofondateur de Babyloan.org, premier site internet français de micro crédit solidaire.


Véronique Anger : Voulez-vous présenter Babyloan et expliquer en quoi consiste le micro crédit ?

Arnaud Poissonnier : Babyloan est le premier site internet français de micro crédit solidaire, et le troisième au niveau mondial. Babyloan propose au grand public de financer des projets de micro crédit dans les pays en développement et, bientôt, en France.

Grâce à l’économiste bangladais Muhammad Yunus(1) -qui a fondé la Grameen Bank, la première institution de micro crédit (ce qui lui a valu prix Nobel de la Paix en 2006) le micro crédit s’est considérablement développé au cours des trente dernières années. Il existe aujourd’hui 10.000 institutions de microfinance (IMF) dans le monde qui financent l’outil de subsistance d’environ 150 millions de micro entrepreneurs bénéficiaires, ce qui équivaut à un encourt de micro crédit de 50 milliards de dollars. L’univers du micro crédit touche potentiellement 90% de la population mondiale qui n’a accès ni au crédit ni à la banque, soit environ 4,5 milliards de personnes ! Bien évidemment, sur les 4,5 milliards d’exclus du système bancaire, il n’y a pas 100% d’entrepreneurs en herbe mais certainement plus de 150 millions de micro entrepreneurs potentiels…

Le micro crédit, c’est du crédit social, du crédit « accompagné ». Et c’est cette originalité qui fait toute la différence avec les systèmes de crédit classiques. Le principe du micro crédit, ce n’est pas de donner à fonds perdu pour une cause parmi d’autres causes plus ou moins déterminées. Le micro crédit sert à financer les projets de personnes bien identifiées ; A ce titre, il véhicule un message fort sur la capacité de l’être humain à s’en sortir :. « Il faut aider les hommes à faire le pari d’entreprendre, à retrouver confiance en eux. » comme l’écrit dans son dernier livre(2) Maria Nowak, grande prêtresse du micro crédit en Europe et présidente de l’Association pour le Droit à l’Initiative Economique (l’ADIE).

La mission des IMF (« les banques des pauvres ») consiste à emprunter de l’argent pour pouvoir ensuite reprêter de petites sommes (des micro crédits donc) à des personnes sans formation, souvent illettrées et exclues de la société. Il y a 5 ans, ces institutions étaient financées uniquement par les grands bailleurs de fonds internationaux (banques, fonds d’investissements, grandes ONG, Etats, banque mondiale, banque européenne, etc). Le grand public n’était pas encore intégré au système. Puis, des spécialistes de l’informatique ont eu l’idée géniale de créer le premier site « peer to peer » de micro crédit. Cela n’avait encore jamais été fait et, cette fois, le grand public allait pouvoir être associé à la microfinance.

L’engouement pour le micro crédit a été immédiat. Le premier site de micro crédit, l’Américain Kiva.org, représente aujourd’hui plus de 700.000 membres et a déjà financé, grâce à l’argent prêté par le grand public, 160 millions de dollars de prêts solidaires. Sachant que le montant moyen d’un micro prêt dans le monde est de 400 dollars et qu’il suffit, dans certains pays, de 30 ou 40$ pour aider des gens à développer leur outil de subsistance (par exemple une petite épicerie, une échoppe ou de l’agriculture), c’est une très belle réussite.


VA : Comment fonctionne un site de micro crédit ?

AP : C’est évidemment plus compliqué qu’un site classique car il faut nouer des partenariats avec ces fameuses IMF, qui présenteront leurs fiches des micro entrepreneurs bénéficiaires sur le ou les sites de micro crédit partenaires. Les internautes sont invités à devenir membres de la communauté de la microfinance en choisissant, directement sur le site, de prêter de l’argent (prélevé en ligne par carte bancaire) à un bénéficiaire bien identifié. Les membres prêtent en moyenne 70 dollars (us) sur une durée généralement inférieure à un an. Le micro entrepreneur bénéficiaire rembourse chaque mois, et le prêteur peut alors décider de récupérer cette somme ou de l’affecter au projet d’une autre personne. Ainsi, l’aide se perpétue dans le temps ; c’est aussi cela la force de ce modèle économique, de ce « social business ».


VA : Avez-vous des projets de développement à l’étranger ?

AP : Oui, cela fait partie de nos grands enjeux. Nous savions que le micro crédit fonctionnait bien aux Etats-Unis et nous avons montré que cela pouvait aussi être un succès en France. En deux ans, nous avons fédéré plus de 7.000 internautes qui ont financé 3.600 projets, soit un peu plus d’un million de micro crédits dans huit pays dans lesquels Babyloan a des partenaires. Aujourd’hui, nous aimerions créer un Babyloan Espagne, un Babyloan Italie, Benelux, Allemagne, etc. Comme nous l’avons fait pour la France, dans chaque coin du monde où nous souhaiterons intervenir, nous devons demander un agrément aux banques centrales de chaque Etat car la réglementation sur l’activité bancaire n’est pas la même partout. En France, par exemple, l’activité bancaire est le monopole des banques centrales, et pour autoriser le grand public à financer des micro prêts nous avons réussi, avecl’ADIE(3), l’association de Maria Nowak, à faire changer le Code monétaire et financier pour permettre aux associations de micro crédit françaises de se faire financer auprès de personnes physiques, ce qui était interdit avant. Par exemple, un expert-comptable à Tours pourrait choisir de prêter de l’argent pour aider un bénéficiaire à créer sa pizzéria dans sa ville par exemple. Ce prêteur pourra aussi devenir client du restaurant et, qui sait, lui proposer de vérifier gratuitement sa comptabilité. Des échanges et de vrais liens vont ainsi s’établir et donner une autre dimension en créant une solidarité de proximité. Cela sera possible en France avant Noël.

Nous rêvons aussi d’un Babyloan Canada, en français et en anglais… et en dollars canadiens. Nous étudions actuellement des partenariats locaux, mais c’est évidemment plus compliqué à mettre en place qu’un site en euro dans la zone euro ! Nous avons un autre rêve… Quand il s’agit d’aide, nous raisonnons toujours dans une logique Nord/Sud et nous aimerions faire émerger une logique inverse, un mode de solidarité qui viendrait cette fois du Sud, dans l’esprit de la Grameen Bank installée en plein cœur de Manhattan par M. Yunus. Je ne sais pas si vous le savez, mais pendant la crise financière de 2008, les émigrants installés aux Etats-Unis ont continué à envoyer de l’argent(4) à leur famille en Amérique latine par exemple, mais les proches restés au pays ont eux aussi aidé les membres de leur famille victimes de la crise aux Etats-Unis. Ces transferts de flux -dans les deux sens- nous poussent à imaginer un Babyloan Sud/Nord et non plus exclusivement Nord/Sud en créant un Babyloan Nord-Afrique ou Asie par exemple. Un Marocain ou un Tunisien pourraient un jour parrainer un Français. Ce serait une bonne façon d’équilibrer les rapports Nord/Sud. Ce ne serait plus le Nord qui aide le Sud, avec cette connotation péjorative de dépendance (comme le dit ce proverbe africain : « La main de celui qui donne est au-dessus de celle qui reçoit. ») mais l’égalité totale entre les individus. La symbolique est, là aussi, très forte.


VA : Que répondez-vous aux détracteurs du micro crédit, qui dénoncent des taux abusifs pouvant mener les emprunteurs, déjà pauvres, au surendettement ?

AP : Comme dans toute activité humaine, il existe des bonnes et des mauvaises pratiques. Cela étant dit, je pense qu’il faut distinguer la polémique du vrai débat… Un faux débat est né il y a quelques années quand plusieurs articles sont parus dans la presse pour dénoncer les taux d’intérêt prohibitifs pratiqués par les IMF.

Dans la microfinance, les taux d’intérêt varient souvent de 20 à 40%, ce qui peut évidemment sembler énorme sous le prisme occidental (où les taux, en France, flirtent avec les 3%). Ce que le public sait moins, c’est que la microfinance coûte très cher. Pour pouvoir prêter aux micro entrepreneurs, les IMF empruntent à des taux de 10 à 15% auprès des institutionnels, qui n’ont évidemment rien de philanthrope (le taux de refinancement interbancaire en Europe est de 0,5%…). S’ajoute à cela de 5 à 10% d’inflation locale, ainsi que le taux d’impayés de 1 à 2% (ce qui est nettement inférieur aux 5 à 6% des sociétés de crédit à la consommation en France). Enfin, il faut intégrer les frais de fonctionnement humains. Délivrer un micro crédit n’a pas grand-chose à voir avec la délivrance d’un prêt à la consommation dans notre pays. Dans les pays en développement, pas de prélèvement mensuel automatique, mais des centaines de crédits de 100€ par mois dont il faut récupérer les intérêts chez autant de micro entrepreneurs. Cela demande du temps et toute une organisation : un agent de crédit de l’IMF se déplace dans les villages ou au fin fond de la campagne, parfois à vélo, pour se faire payer les intérêts de la main à la main. Toutes proportions gardées, cela coûte très cher, même si les salaires sont faibles. Et je n’ai pas encore évoqué le coût de l’accompagnement, de la formation, qui est une dimension essentielle du micro crédit. L’objectif du micro crédit c’est d’apprendre aux gens à créer leur outil de subsistance. Tout le monde connaît la citation de Confucius : « Quand un homme a faim, mieux vaut lui apprendre à pêcher que de lui donner un poisson. ». Il est impossible d’aider les exclus à sortir de la pauvreté sans un accompagnement social. Il faudra donc répercuter tous ces frais sous peine de voir ses fonds propres fondre comme neige au soleil et l’institution de microfinance disparaître… Voilà pourquoi les taux d’intérêt sont si élevés. La question maintenant est de savoir si ces taux sont supportables.

Il s’avère que les micro entrepreneurs évoluent tous dans le contexte de l’économie informelle. Ils ne connaissent ni les charges sociales, ni les impôts, avec ces cycles de production extrêmement rapides. Par exemple, un bénéficiaire fabrique un vêtement et le revend en 15 jours sur un marché alors que la durée du micro crédit sera de quatre ou cinq mois. Le bénéficiaire pourra donc effectuer plusieurs cycles d’exploitation et faire un bénéfice à chaque fois.

Pour ces exclus du système qui ont la fibre entrepreneuriale, l’usurier est souvent la seule solution quand le micro crédit n’existe pas. Ces « loan sharks » (qui portent bien leur nom), que je rencontre lorsque je me déplace pour Babyloan dans les bidonvilles de Manille, prêtent à 100, 200, voire à 300% par an ! Et, en ce moment en Haïti, les taux sont de 25% par mois ! Il n’est évidemment pas question de solidarité ici, ni de crédit social… et aucun accompagnement n’est prévu. De plus, ces prêteurs sans scrupule se fichent bien de savoir si le micro crédit servira à créer un moyen de subsistance ou à acheter des biens de consommation courante.

Les taux d’intérêt doivent autant que possible être tirés vers le bas, mais là n’est pas le vrai problème. D’ailleurs, les taux ne cessent de baisser de baisser car les IMF sont de plus en plus grosses et réalisent des économies d’échelle. Ils sont passés de 32% il y a cinq ans à 29% il y a deux ans et se négocient aujourd’hui aux alentours de 26%. Le problème important est le surendettement. C’est un vrai débat et certains pensent que le micro crédit revient au même que le subprime parce que les pauvres sont endettés. Si la microfinance génére ce type de dérive, c’est effectivement un comble ; l’objectif étant justement de sortir les gens de la précarité et d’éviter le surendettement.

C’est un problème que l’on rencontre dans certains pays (Bengladesh, Cambodge, Maroc, Nicaragua...) depuis que certains investisseurs internationaux et locaux ont compris que les plus grosses IMF pouvaient être rentables (80% des 10.000 IMF sont déficitaires). Et ces investisseurs « capitalistiques » ont décidé d’investir dans de grosses IMF, mais pour de mauvaises raisons… Leur discours a changé et le micro crédit a perdu sa vocation initiale lorsque ces investisseurs obsédés par le retour sur investissement ont fixé des objectifs de rentabilité aux IMF. Les zones urbaines, à forte densité démographique, ont donc attiré les grosses IMF au détriment des zones rurales. Certains bénéficiaires ont commencé à souscrire plusieurs micro crédits qu’ils sont incapables de rembourser. Dans ce cas, en effet, on peut parler de dérive du micro crédit qui génère des situations de surendettement et c’est dangereux. Heureusement, ce n’est pas le cas partout, loin s’en faut, et il faut se méfier des amalgames consistant à vouloir salir tout le micro crédit sous prétexte que, dans quelques endroits, on rencontre ce type de problèmes.

La microfinance a explosé en trente ans et connaît des problèmes de croissance rapide. Une régulation est nécessaire, notamment dans certains Etats. Certains pays voient dans le micro crédit la solution miracle à tous les problèmes de pauvreté accueillent 1.000 IMF comme au Nicaragua ou 600 comme au Sénégal ! Or, le micro crédit n’est pas la panacée. D’autres pays, comme la Tunisie, ont choisi d’imposer une régulation et n’ont agréé qu’une seule IMF. Résultat, les problématiques de surendettement n’existent pas. Le surendettement n’est pas un problème inhérent au système de micro crédit social. Il est lié au contexte dans lequel il se développe et àl’insuffisance de régulation.


VA : Les 3èmes Rencontres de Babyloan se déroulent du 15 au 17 octobre 2010 au jardin d’acclimatation, à Paris. Que s’y passera-t-il ?

AP : Ces Rencontres sont très importantes pour nous, parce que nous évoluons dans l’univers de l’entreprise sociale, du web solidaire et de la microfinance, autant de domaines peu connus du public. Notre activité nous contraint à la transparence, car le prêt internaute est un prêt gratuit, c’est de la philanthropie. Il faut par exemple expliquer pourquoi, sur le terrain, le micro entrepreneur continue à verser des intérêts. Les Rencontres de Babyloan sont un gros événement annuel, intellectuel, convivial et grand public, qui vient consacrer l’émergence des nouvelles solidarités. Pendant trois jours, des professionnels reconnus de la microfinance et de l’entrepreneuriat social, des philosophes, économistes (le professeur Jacques Blamont), écrivains (Laurent Gounelle, auteur du best-seller L’homme qui voulait être heureux) tenteront de décrire le monde tel qu’il sera en 2040… Au cours de ce week-end se succéderont des débats, des ateliers pratiques, des animations : des artistes vont peindre des fresques solidaires de même qu’un bidonville y est reconstitué, des conférences (pour adultes le week-end, étudiants le vendredi et enfants le dimanche matin avec « la conférence interdite aux adultes » pour expliquer la solidarité). Les années précédentes, nous avons reçu 1.500 visiteurs. Cette année encore, l’entrée est gratuite et nous attendons un public de plus en plus nombreux.


(1) Muhammad Yunus, surnommé « Le banquier des pauvres »…

(2) Maria Nowak vient de publier « L’espoir économique. De la microfinance à l’entrepreneuriat social : les ferments d’un monde nouveau » aux éditions JC Lattès.

(3) L’association de micro crédit ADIE a financé 60.000 micro activités (petits commerces, sites internet, services à la personne,…) en France, avec environ 20.000 micro crédits par an d’un montant moyen de 3.000€.

(4) « Les envois d’argent des émigrants latino-américains dépassent déjà la valeur combinée de l’investissement étranger direct, l’aide internationale, et même, dans la majorité des pays d’Amérique latine et des Caraïbes, la quantité du paiement des intérêts de la dette externe. En 2003, la quantité s’élevait à 38 milliards de dollars. ». Source : « L’argent des émigrants : une bouée de sauvetage pour l’Amérique latine ».


Ce qu’il faut savoir…

- Babyloan.org est né en septembre 2008 à l’initiative d’Arnaud Poissonnier. Co fondé avec Aurélie Duthoit, Babyloan est lancé avec l’ONG française ACTED, en partenariat avec la BRED et le Crédit Coopératif.

- Ancien gestionnaire de patrimoine reconverti dans la microfinance, Arnaud Poissonnier tire un trait sur son métier de banquier dans de prestigieuses institutions (Merrill Lynch, ABN Amro,...) en 2008 pour créer, avec Aurélie Duthoit, l’entreprise sociale de micro crédit Babyloan.

- Aurélie Duthoit est diplômée de l’Edhec Management School. De retour d’un séjour d’un an en immersion en Equateur au sein de l’ONG Heifer, spécialiste du micro crédit, elle est convaincue de sa vocation pour la microfinance. Plus d’infos.


Pour aller plus loin :

- Les rencontres de Babyloan, du 15 au 17 octobre 2010 au jardin d’acclimatation à Paris, sous le haut parrainage de Christine Lagarde, Ministre de l’Economie, de l’Industrie et de l’Emploi. Entrée gratuite (réservation sur :www.lesrencontresdebabyloan.fr). Programme.

- Le site de Babyloan

- Arnaud Poissonnier sur Facebook

1 commentaire:

Jean-Pierre CANOT a dit…

Il m’avait été donné d’échanger avec Arnaud POISSONIER, qui je l’ai vite compris me prenait pour un vieux radoteur ressassant toujours la même chose à propos de la microfinance.
Je m’étais donc arrêté, mais je ne puis aujourd’hui lui laisser dire qu’il souhaiterait « faire émerger une mode de solidarité qui cette fois viendrait du sud ».

Il se trompe complètement en ce sens que le modèle coopératif agricole qui a notamment permis le développement que l’on connaît de noter agriculture a été mis en œuvre en France il y a 130 ans et s’inspirait non pas de Muhammad Yunus, mais d’un modèle millénaire connu à Babylone, ce qu’Arnaud POISSONNIER cofondateur de Babyloan n’a sans doute pas oublié.

Le drame dans les échecs répétés de l’Aide au Développement est que nous n’avons pas su et surtout pas voulu mettre en œuvre ce modèle qui en ce qui concerne le crédit a été créé en 1885 à Salins les Bains et a très vite dépassé l’étape de la microfinance.


Pas assez de place...

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